dimanche 6 avril 2014

137-gvw-Un voisin si paisible ?

par Gérald Vande Walle

Le 5 avril 2013, l’un des plus vieux habitants de Godinne (Province de Namur), et originaire d’Annevoie décède. Auguste Wilmart s’est éteint paisiblement à 92 ans. Comme voisin, je garde le souvenir d’un homme tranquille, affable et discret, prodiguant des soins attentionnés à son épouse et s’occupant de son jardin.

Ce que tous ses voisins ignoraient, c’est son passé de Résistant. Ce citoyen hors pair a préféré rester discret sur cet épisode de sa vie ; sa famille n’en connaissait pas davantage ? Il n’a jamais estimé utile d'attirer l’attention sur son activité durant la guerre : il n’avait fait que son devoir !

Pourtant, un jour d’été, alors qu’il passait devant moi, il s’arrête pour souffler un coup et me révèle un secret : « son » secret ? Il me parle de sa reconnaissance A.R.A. par la Sureté de l’Etat (Agent des Services de Renseignement et d’Action). Et pour preuve, il sort de son portefeuille une vieille carte dûment estampillée. Je ne savais même pas de quoi il s’agissait. D’ailleurs, qui parle encore aujourd’hui de ces services dits du renseignement et de l’action ?

Oui, « mon » facteur a commencé à récolter à 21 ans des informations à caractère militaire. Oui, il était un maillon secret mais efficace d’une chaîne d’informateurs sur les mouvements de l’envahisseur. Oui, un citoyen engagé et responsable qui n’a pas attendu que les autres fassent quelque chose pour que cela change. Oui, c’est lui anonymement qui a agi. Les informations de mon facteur arrivaient à Londres grâce à une chaîne incroyablement efficace.

Tout a débuté me confie-t-il en 1942, quand l’ennemi lance le travail obligatoire. Les jeunes sont convoqués pour aider en Allemagne la production de guerre. Facteur à Annevoie, il y échappe et dispose d’une autorisation de circulation libre (Ausweis). Pourquoi ne pas utiliser cette large autonomie de circulation pour autre chose de bien plus utile ? Il se met à la disposition du Réseau de Renseignement Tempo.

Vous comprenez déjà que dans son sac se retrouvent quelques messages très importants mélangés à des lettres qui le sont moins à ses yeux. Il se souvient de renseignements qui concernaient le trafic aérien autour de la base militaire de Florennes, pour ne citer qu’un type de courrier très spécial, mais combien important ! Sa mission est simple : déposer les documents à une adresse précise sans poser de question. C’est un de ces maillons anonymes dans le chemin vers les Alliés basés à Londres qui passe par la Belgique, la France et l’Espagne …

Sa mission est très importante : il porte un révolver mais ne dût jamais s’en servir, me confie-t-il ? Dénoncé par quelque misérable vendu à l’ennemi, Auguste Wilmart doit fuir et se cacher pour ne pas être arrêté. Il a eu de la chance, il ne le sera jamais. Mais mon facteur se sent poussé par son devoir de citoyen responsable. Brûlé ici, il s’engage ailleurs : l’Armée Secrète l’accueille fin 43. Son principal terrain d’activités devient la vallée de la Meuse et Maredret. En juin 44, à l’approche de la Libération, les membres de son secteur reçoivent l’ordre de rassemblement à Annevoie-Rouillon où des armes leur seront remises. Elles n’arriveront jamais car après la guerre, il apprendra que d’autres objectifs ont reçu la priorité.

Mais les engagements évoluent : Il reprend du service au Corps des Forestiers en avril 45 et participe au « nettoyage de la Meuse », c'est-à-dire à l'enlèvement des obus et munitions de toutes sortes qui s'y trouvaient engloutis. Une telle activité n’était pas non plus sans danger. « J'ai terminé la guerre sans avoir jamais tiré un seul coup de feu » m'avoua-t-il en riant !

En 1946, mon facteur tourne la page : il redevient facteur, mission accomplie. Il reçoit deux décorations pour services rendus à la patrie : la Médaille Commémorative de la Guerre 1940-1945 et la Médaille de la Résistance, … et obtient la reconnaissance A.R.A. (Agent des Services de Renseignement et d’Action) dont il est fier de montrer cette carte froissée, un véritable trésor, conservée près de son cœur.

Oui, Auguste Wilmart, mon facteur, a été l'un de ces informateurs, combattants de l’ombre, un de ces illégaux qui sera légalisé après la guerre, un maillon d’une chaîne vers Londres. Un citoyen comme vous et moi, que rien n’obligeait à agir de la sorte. De plus, il n’ignorait pas le sort qui lui aurait été réservé s’il s’était fait prendre pas la Gestapo : torture pour lui faire cracher le nom de ses complices et à coup sûr, le peloton d’exécution après la déportation vers un Camp de Concentration.

Voilà l’exemple d’un citoyen responsable qui vivait parmi nous : il nous montre le chemin de la citoyenneté quand plus rien ne va. Modeste Agent Auxiliaire des Services de Renseignement et d’Action, il a contribué à la victoire : il faisait partie de ces 18.716 Agents reconnus par la Sureté de l’Etat après des enquêtes sévères et fouillées qui feront dire qu’aucun autre mouvement de résistance n’aura été autant contrôlé.

C’est grâce à des personnes comme lui que nous vivons aujourd’hui dans un pays libre et démocratique.

En 2014, nous fêterons le centenaire de la Grande Guerre de 1914-1918 où déjà s’étaient illustrés des citoyens informateurs hors pair, comme Edith Cavell, Gabrielle Petit, Marguerite Bervoets, et Dieudonné Lambrecht qui va créer le Réseau La Dame Blanche, aussitôt repris après son arrestation par un Géant de la Résistance en 40-45, Walthère Dewé qui fondera la Réseau Clarence.

N’oublions jamais le comportement citoyen de ces Agents : ils nous montrent le chemin à suivre aujourd’hui, en pleine crise … c’est à nous d’agir sans attendre que les autres le fassent pour nous.-


lundi 12 mars 2012

136-mp-Le Réseau Clarence en régions de Marche et La Roche

Ce texte est un condensé de l’étude menée par Maurice PETIT en hommage à toutes les femmes et à tous les hommes qui ont œuvré au sein du Réseau Clarence. L'étude est parue dans Les Annales du Cercle historique de Marche-en-Famenne, Hotton et Rendeux en novembre 2011.


Il s’agit d’un regard sur le Réseau Clarence opérationnel dans la province de Luxembourg et en particulier dans la région de Marche-en-Famenne et La Roche-en-Ardenne

"Walthère Dewé (1) est, sans aucun doute, le plus grand Résistant Belge, l'un des plus grands de toute la résistance européenne, le seul homme au monde qui fut fondateur et chef d'un réseau clandestin de renseignements au cours des deux guerres mondiales". Henri Bernard (2)











L’homme de La Dame blanche


Lorsqu’il met en place son Corps d’Observation Belge (COB) en 1939, Walthère Dewé n’en est pas à son coup d’essai. Au cours de la première guerre mondiale, cet ingénieur à la Régie des Télégraphes et Téléphones (RTT), né à Liège le 16 juillet 1880, avait déjà dirigé un réseau de renseignements, celui qui avait été initié dès la fin de 1914 par son cousin Dieudonné Lambrecht, fusillé à la Chartreuse le 18 avril 1916. Walthère Dewé, qui l’avait épaulé dès le début, avait pris la relève de son parent. Le service allait porter divers noms, le plus connu étant La Dame blanche, et il fonctionna jusqu'à la fin des hostilités au profit de la section du Secret Intelligence Service (SIS) britannique opérant aux Pays-Bas. A partir de 1939, le COB recueille des renseignements sur l’industrie et l’armée allemandes et prévient les autorités de l’invasion imminente du pays.

La naissance de Clarence


Après la capitulation du 28 mai 1940, Dewé croit encore en la victoire finale et, avec ses compagnons de lutte, il restructure le COB qui progressivement deviendra le service Clarence, d’après le pseudonyme d’Hector Demarque, son plus proche collaborateur. Réseau de renseignements militaires, Clarence compte un secteur par province, un secteur routier et un secteur français. La mise sur pied du secteur du Luxembourg est confiée au juge Léon Calmeau de Marche-en-Famenne. Clarence ne dispose que de postes émetteurs à faible portée et n’obtient donc aucune réaction de Londres et les essais de courrier terrestre, par la France et l’Espagne, ne sont pas plus fructueux. Le doute s’installe au début de 1941 mais le salut vient du ciel, en la personne de Jean Lamy, parachuté près de Manhay avec un poste émetteur-récepteur. Malgré l’arrestation rapide de cet agent, l’essor du réseau continue. De nouveaux opérateurs assurent le dialogue avec Londres et les chefs de secteur recrutent des agents et créent des sections dans leur province. Calmeau, alias Seguin, en établit à La Roche, Aubange, Athus, Vielsalm et Bouillon.

Essor et répression


L’opérationnalité du réseau atteint son niveau optimal mais la répression allemande se met en place dans le même temps. Dès 1942, Omer Habaru est arrêté à Arlon. Avec son internement aux Pays-Bas de 1914 à 1918 (3) , il cumulera sur les deux guerres pas moins de 2539 jours de captivité ! D’autres arrestations dramatiques suivront dans la région de Marche. Raymond Dorckens est arrêté et fusillé pour vol de plans et d’une douille en nouvel alliage à la Fabrique Nationale (FN) de Herstal. Léon Lambert, qui a aidé des aviateurs à quitter le pays, est arrêté et mourra en captivité en 1944. L’abbé Paul Désirant, curé de Devantave, également actif au Mouvement National Belge (MNB), est fusillé après une sombre affaire de vol de dynamite à Boncelles. Néanmoins, le réseau trouve encore de nouveaux agents prêts à risquer leur vie pour leur pays en récoltant, analysant et transmettant tous les renseignements susceptibles d’intéresser Londres. La section de La Roche, sous la conduite de René Liégeois, alias Rocher, n’est pas en reste, notamment avec Adelin Petit qui aide à établir les plans d’un camp allemand dans son village de Gênes.

La fin d’un géant


Après l’arrestation de ses deux filles le 7 janvier 1944, Walthère Dewé est directement menacé, mais il refuse de se mettre en sécurité. Il est arrêté le 14 janvier, à Ixelles, au domicile de Thérèse de Radiguès, une autre vaillante de la première heure dans La Dame Blanche. Au moment d’être embarqué dans une voiture, il s’enfuit mais est finalement abattu dans la rue. Le juge Calmeau est arrêté le mois suivant : son nom avait été trouvé sur une liste de membres du mouvement National Belge (MNB) ! Il mourra en 1945 après d’indicibles tortures. Le réseau continue pourtant l’action, avec courage, y compris lors de l’Offensive des Ardennes.


Le bilan des communications et renseignements de Clarence


Du premier message envoyé de Grandmenil par Jean Lamy au dernier message reçu par Gérard de Burlet, Clarence a échangé avec Londres pas moins de 872 messages dans les deux sens. En parallèle, 92 courriers terrestres, totalisant 163 rapports avec cartes, croquis et photos ont été acheminés vers Londres via la France et l’Espagne.

La plupart des messages opérationnels portent sur les informations militaires et industrielles, plus rarement sur des aspects politiques, économiques ou de contre-espionnage. En voici quelques exemples : fabrication de cartes des côtes d’Irlande, commande de bateaux-citernes, dépôts de munitions, position de l’artillerie à la côte, mouvements de troupes, position de radars, activités sur les aérodromes, situation générale des unités allemandes, préparation d’un raid aérien sur un atelier de réparation d’avions de chasse, résultat de l’attaque du Centre Opérationnel de Florennes, données techniques du Messerschmit 262 plusieurs mois avant son entrée en service, mise au point des V1 à Peenemünde (Alemagne – Mer Baltique), emplacement des rampes de lancement de fusées en construction en France dans le Pas-de-Calais (Eperlecques), persécution et déportation des Juifs. On retrouve aussi des informations sur le "Comité Gilles", la Mission De Kinder, la Légion Belge ou encore l’Armée de Belgique.

A la fin des hostilités, le ténor des services secrets britanniques, Sir Charles Dansey, dira que « par la qualité et la quantité des messages et documents qu’il fournit, Clarence occupe la première place parmi les réseaux de renseignements militaires de toute l’Europe occupée ».

Le Réseau Clarence compte officiellement un total de 1.547 agents reconnus, issus de tous les coins du pays. 43 d’entre eux tombèrent en action et 4 moururent prématurément après la fin de la guerre, des suites de celle-ci.

Un hommage national, très émouvant, sera rendu à Walthère Dewé à Liège en octobre 1945 et un mémorial sera élevé dans sa rue (Quartier des Tawes à Liège-Citadelle). Il y repose désormais aux côtés de son épouse. Ce n’est qu’en 1957 que sera rapatriée la dépouille du juge Calmeau. Une stèle est élevée à sa mémoire au Palais de Justice de Marche.

Aujourd’hui, c’est la Royale Union des Services de Renseignement et d’Action (asbl RUSRA-KUIAD vzw) qui entretient la mémoire de ces femmes et de ces hommes qui ont risqué, et parfois perdu, leur vie pour notre liberté. Ne les oublions pas. C’est l’objectif de cette étude.

NOTES :


(1)

La photo nous a aimablement été confiée par Philippe Dewé, petit-fils de Walthère Dewé.
(2)

BERNARD Henri. "Un Géant de la Résistance, Walthère Dewé". La Renaissance du Livre. Sans lieu. 1971. Ancien Résistant (Armée de Renseignement et d'Action, Réseau LUC), Henri Bernard était historien de renom et professeur à l'Ecole Royale Militaire (Bruxelles).

(3)

PETIT, Maurice : "Un Ardennais interné aux Pays-Bas". In les Annales 2010 du Cercle Historique de Marche-en-Famenne, Hotton et Rendeux. Marche-en-Famenne. 2010.


Où se procurer un exemplaire des Annales 2011 ?
Les Annales 2011 du Cercle historique de Marche-en-Famenne, Hotton et Rendeux" , secrétariat : rue des Rossignols 25, 6900 Marche-en-Famenne ; http://cercle-historique.marche.be/



lundi 13 décembre 2010

135-mpg : A tout malheur, qqch de bon

EVERY CLOUD HAS A SILVER LINING

A tout malheur, quelque chose de bon !
Souvenir de Georgette Stillatus

Mathilde et Robert Barbieaux, arrêtés le 29 mars 1944, nous sont revenus en mai 1945 !

Au cours de l’après-midi du 29 mars 1944, je me rends chez les amis Mathilde et Robert, une habitude presque journalière.

Coup de sonnette caractéristique … ils savent que c’est moi … La porte s’ouvre. Surprise : un individu au regard dur me demande : « Qui êtes vous ? » - « Moi ? » - « Une amie et collègue de Madame, je viens lui rendre visite. » - Il me laisse rentrer ; je rejoins Mathilde dans la cuisine. Elle n’est pas seule ! Un prêtre l’incite à brûler des papiers dans le poële ; il joue double jeu, le traître !

– Plus tard, j’apprends que c’est ce faux prêtre qui est arrivé à la maison de mes amis, il a sonné : Robert ne s’est pas méfié … et tout de suite après, ce faux prêtre a fait rentrer les deux individus en civil, de la gestapo sans doute.


Un des nos amis, Noé Renaut, chemin faisant vers la maison des Barbieux a vu le manège suspect ; il est resté prudemment derrière la haie du parc communal.

… Dans la cuisine, Mathilde et moi, anxieuses, nous n’échangeons que quelques paroles, des banalités …

J’entends des pas à l’étage : Robert s’y prépare, surveillé par les deux individus.

Robert a-t-il voulu se sauver par le second étage ? Je l’ignore, car là, il a aménagé une trouée dans le mur, derrière un petit meuble. Par là, on accède à la maison voisine, une ruine, unique maison de l’avenue du parc touchée par un obus. En passant par celle-ci, ensuite par le jardin, on arrive à une rue parallèle à l’avenue du parc.

Peu de temps après, Robert descend flanqué des deux traîtres … Mathilde aussi est prête pour partir. Moment poignant ; mais, je ne perd pas mon sang froid et très calmement, je m’adresse au sinistre trio escortant mes amis ; « Puisque Madame et Monsieur partent, pourrais-je leur demander les cléfs de la maison, afin de la surveiller et de l’entretenir ?» Sans trop de réflexion, ils disent « oui » !

… Et plus tard dans l’après-midi avec l’ami Résistant Noé Renaut, nous retournons dans la maison des amis Barbieux. Là, Noé bien renseigné, brûle encore d’autres documents compromettants …

Pendant toute la période de l’absence de nos amis, maman et moi nous entretenons la maison comme la nôtre donnant l’impression aux passants qu’elle est occupée.

C’est ainsi que Robert et Mathilde trouvent une maison propre dés leur retour en mai 1945.

- L’aviateur américain, James Hart, n’est pas un inconnu pour moi. Je l’ai rencontré presque journellement à la soirée, chez mes amis Mathilde et Robert.

- Parler avec quelqu’un dans sa langue a été un réconfort moral pour lui.

- Sa fille Michaele a été ma petite correspondante plus tard.-

dimanche 7 mars 2010

134-ad : Réseau Comète : aventure à Paris

Réseau Comète :
une aventure rocambolesque à Paris


par Andrée Dumon alias « Nadine »,
lieutenant A.R.A. Réseau Comète

Mon père, Eugène Dumon, était l’un des dirigeants du Réseau Luc. Au début j’y suis active, mais en décembre 1941, je me mets au service de Andrée De Jongh du Réseau Comète en escortant les clandestins de Bruxelles à Paris, n’hésitant pas à emporter également du courrier secret. Entre deux voyages, « Nadine », mon pseudo, allait chercher des aviateurs cachés à divers endroits de Bruxelles et s’occupait de leur hébergement. N’oublions pas que ces « étrangers » pratiquaient très peu la langue française …

Voici une de mes aventures pour le moins rocambolesque : nous n’avions pas froid aux yeux, nous étions jeunes et prêts à tout pour réussir notre mission.En plein mois de juillet 1942, j'arrivais à Paris vers les 7 heures du matin avec mes deux aviateurs. Dans une chambre d’hôtel, je retrouvai monsieur De Jongh qui nous attendait avec du café chaud et des croissants : quel luxe pour nous tous. Après ce petit déjeuner, il me demande de les conduire à un lieu de rendez-vous en face d'une bouche de métro où « Jeanne » les prendrait en charge.

Nous repartons passablement fatigués : nous avions voyagé en train debout dans le couloir faute de place et le voyage durait plus de huit heures … si tout se passait bien. Je voyageais toujours en 3ème classe et de nuit car on s’y faisait moins remarquer.

Après un bon quart heure d’attente au lieu du rendez-vous, toujours pas de « Jeanne » à l'horizon. Nous nous apprêtons à quitter les lieux quand deux officiers allemands foncent droit sur nous. Ils sont accompagnés d'une ravissante jeune fille. Arrivés à notre hauteur, ils la quittent pour l’entrée du métro. Mais la jeune fille vient vers nous avec son plus beau sourire et demande à l'un de mes boys s’il n'a pas une pièce pour téléphoner. J’interviens, telle une femme jalouse et lui lance laisse Henri, j’en ai une et je la tends à cette trop belle jeune fille … qui à son tour s'engouffre dans le métro.

Les sens en éveil, j'avais cette terrible impression d’être épiée et en informe tant bien que mal mon Américain qui connaissait un soupçon de français. De mon côté, la langue de Shakespeare n’était pas à cette époque ma tasse de thé.

Il me rit au nez et déclare : on ne vit pas un roman policier, vous savez mademoiselle". Je lui réponds que c'est possible, mais que nous ne pouvons plus rester ici plus longtemps. « Jeanne » aurait dû être déjà là. Mais pour moi ce jeune homme aperçu au coin de la rue nous surveille …
Nous partons donc et personne ne semble nous suivre. Le jeune « boy » se moque de moi. Nous continuons notre chemin et à la première transversale, nous l’apercevons à l'autre bout de la rue. Mon aviateur s'excuse et nous pressons le pas. Je retire bien vite ma cape. Cela me donne une autre apparence sans me faire trop d’illusions. Un Américain long, mince et dégingandé, avec un Australien sorti de son bush au visage buriné orné d’une moustache à la mérovingienne et affublé d’une coupe de cheveux hors mode et au milieu d'eux une gamine pas plus haute qu'une pomme, voilà bien un drôle de trio qui ne pouvait passer inaperçu.

Nous atteignons la seconde transversale et constatons avec angoisse que l'inconnu se rapproche dangereusement. Nous nous mettons dès lors à courir et arrivons sur le large boulevard Saint Michel à proximité du jardin du Luxembourg où nous nous précipitons.

J’y vois sur ma gauche un réduit en pierres de taille où sont entreposés les outils et autres déchets végétaux. Nous nous y cachons. Il était temps : l’inconnu entre à son tour dans le jardin et continue tout droit. Par un petit trou dans le mur, nous l'observons : il s’arrête et nous cherche avec insistance pour finalement disparaître de notre vue. Mes impressions étaient justifiées : la peur au ventre et après un long moment, nous décidons de sortir de notre cachette.
Pas question pour nous de retourner à notre point de départ du matin. Nous aurions pu avoir été suivis depuis lors et c’était mettre en danger non seulement ma mission mais aussi tout le Réseau d’évasion.

Je disposais d’une adresse de secours. Après d’incroyables précautions, nous prenons le métro tout proche pour nous y rendre. Nous y rentrons les derniers. Enfin arrivés près de notre point de chute, je demande à « mes » hommes de faire les cents pas dans les environs. Je sonne. « Madeleine » m'ouvre et me dit : surtout ne viens pas avec eux ici, les Allemands sont venus la nuit passée dans l'appartement du dessus et celui du dessous, il se pourrait donc qu'ils reviennent ce soir.

Je reçois heureusement l’ adresse d’une mansarde où mes protégés pourront passer la nuit. « Quelqu’un » viendra les chercher le lendemain. Nous nous dirigeons vers ce nouveau point de chute. Je m’en souviens encore après toutes ces années. C'était un lundi et à Paris tout était fermé du vendredi soir au mardi matin.

Arrivés dans notre mansarde, j’y trouve du chocolat en poudre, du lait en poudre, des biscottes et du sucre. L’endroit était pour le moins précaire. Je leur prépare du chocolat chaud et les invite à manger les biscottes. Il n’y a rien d’autre ce soir. Surtout, ils ne peuvent pas sortir et doivent attendre qu'on vienne les chercher. Nous n'avions plus mangé depuis les croissants du matin. Pour ma part, je ne pensais guère à manger. Mais ces hommes vigoureux devaient être affamés. Ils n’en dirent rien trop heureux de se retrouver au calme et d’envisager une nuit paisible.

En ce qui me concerne, il n'était pas pensable que la jeune fille que j’étais dorme dans la même chambre. Je fis mes adieux et partis chez des amis qui n'avaient rien à voir avec la Résistance, mais que le Réseau utilisait car toujours disposés à nous héberger.

Une fois dans la rue, le danger était encore plus présent car il y avait le "couvre-feu" et l'heure était largement dépassée. Je suis arrêtée en pleine rue par des gendarmes français qui veulent m'emmener au poste.

Me voilà implorant leur indulgence avec forces sourires, tout en leur expliquant que je m'étais attardée avec mon copain. Et que si mes parents l'apprenaient, j’aurais de gros problèmes d'autant plus que j'étais très en retard. Je vois encore mes policiers hésiter puis fondre de tendresse sans doute à l’écoute du côté fleur bleue de mon histoire. Ils sourient et m’invitent à rentrer prestement.

Le lendemain matin à l'aube je reprenais la direction de Bruxelles prête à revenir à Paris rapidement. Je ne devais plus revoir mes policiers français, mais je fus heureuse d’apprendre après la guerre que mes deux boys étaient bien arrivés en Angleterre et avaient pu effectuer d’autres missions.-

lundi 12 octobre 2009

133-af : Réseau ZIG : un agent hors du commun

par Adrien Fache, Capitaine A.R.A.

Roger Morsa (1) géomètre-expert, lieutenant de réserve, reprend ses fonc­tions professionnelles dès sa démobilisation en juin 1940, aidé par Georges Vandenberghe, dans les bureaux du Cadastre situés dans le même bâtiment que les Contributions à la place Saint-Martin à Bruges.

Morsa est un homme intelligent et perspicace ; il faut ces qualités talen­tueuses pour jouer le rôle d'un « simplet» qu'il va interpréter d'em­blée vis à vis de l'occupant. Ainsi il est toujours craintif et défiant. Son chef administratif dit un jour de lui qu'il est l'employé le plus inepte jamais rencontré dans ses services !

Un beau matin, un membre de l'organisation Todt, portant un bras­sard orné de la croix gammée, se présente au bureau du cadastre afin d'obtenir des reproductions d'un plan tracé sur papier calque. Le chef de bureau lui désigne Morsa le préposé à cette « machine à plans ». Ce « Todt » déroule un plan de Dunkerque sur lequel sont détaillées les différentes fortifications allemandes existantes ou à bâtir. Morsa, indifférent, exécute ce tirage de plans. Ce travail terminé, il est à peu près midi. Le « Todt » lui fait part de son intention d'aller déjeuner et le prie de cacher entre temps son calque et ses reproductions. Ayant placé ce rouleau dans son armoire personnelle, Morsa, tout en cas­sant la croûte, a des pensées vagabondes qui le mènent à tirer un exem­plaire de ce plan pour lui-même.

Sa journée terminée, il apporte son butin à la maison, le cache... et s'interroge sur le bon parti qu'il pourrait en tirer !

C'est fin janvier 1941 qu'il rencontre le commandant de Penaranda de Franchimont et le lieutenant Van der Haegen. A l'arrestation de ce dernier en août 1942, Penaranda se débranche du Service Luc et continue à servir le Renseignement pour son cousin Brise, qu'il ren­contre chez Braid ; il amène avec lui ses propres agents : Vandenbussche, Vandenberghe et Morsa.

Le domicile de Morsa est sis à Saint-André-lez-Bruges, là habite aussi son compère du même âge Albert Vandenbussche qui effectue sur place les vérifications de certaines données communiquées.

Morsa est motivé au plus haut degré et se veut très discret. À son entou­rage il laisse croire un attachement plutôt collaborationniste. Certains de ceux qu'il côtoie ne le regardent pas d'un bon oeil : le journal « Volk en Staat » dépasse ostensiblement de sa poche.

En mars 1942, l'Organisation Todt, chargée de la construction des for­tifications allemandes le long de la côte, s'installe dans les bâtiments de l'abbaye de Zevenkerke. De l'autre côté, dans un bâtiment de la rue Noordzand, la Stab 5 de la Festungs Nachschub prend place en vue de dessiner les plus grands secrets des projets de sécurité pour l'Oberkommando de l'Armée. Celui-ci, ainsi que d'autres services, comme la Luftwaffe, se mettent à dessiner divers plans et organi­grammes qui doivent être reproduits en plusieurs exemplaires.

Initialement il est fait appel à une sorte de coopérative d'entrepreneurs brugeois : le Bouwbedrijft qui possède une machine à tirer des plans (bâtiments actuels de la clinique Saint-François Xavier). Puis jugeant qu'une entreprise privée n'offre pas toutes les garanties de sécurité, la décision finale est de s'adresser à une institution de l'état.
Ceci explique pourquoi la Stab 5 de la Festungs Nachschub eut un jour la bonne idée de s'introduire au bureau du Cadastre où la machine à tirer des plans doit être mise à leur disposition sans la participation ni l'assistance du personnel communal.

Morsa ne doit pas faire appel à beaucoup d'imagination pour que désor­mais sa machine à plans tombe, par hasard, irrégulièrement en panne ! La première fois que les Allemands demandent son assistance, il répond par un refus catégorique. Indignés, ils lui donnent l'ordre d'obéir et d'exé­cuter ce dépannage. Dans ces conditions, il obtempère. Désormais, lui et son ami Vandenberghe sont chargés de la reproduction des documents allemands. Morsa les épate même en apportant certaines améliorationsau fonctionnement de la machine. Mûrissant une idée, il reçoit le grand sac qu'il a demandé pour recueillir proprement les rognures de papier. Aux yeux des Allemands, il est encore plus simplet qu'il n'en a l'air ! Peu importe, ils ont trouvé la solution à leur problème avec on ne peut plus de bonheur !

Les plans de l'Oberbauleitung fur Belgien der Organisation Todt sont transportés régulièrement sous haute surveillance depuis Zevenkerke jusqu'à Bruges par le Fahndungsdienst. Les plans de la Stab 5 Fastungs Nachshub sont transportés, le samedi matin au Cadastre sous la sur­veillance de six soldats ; une fois reproduits ils y retournent avec cette même mesure de sécurité.

Le 21 juillet 1943, cinq membres du Festung Nachshub Stab 5 sont arrêtés sous l'inculpation de haute trahison et avec eux Morsa. Interrogé pendant dix heures par la Geheime Feldpolizei de Bruges - interro­gatoire poursuivi le lendemain - il est convoqué à comparaître au Conseil de Guerre. Ici, rusé, avec une grande présence d'esprit, il démontre son impossibilité à surveiller tous ces « Todt » gravitant autour de lui ; il rappelle son refus de travailler dans de pareilles conditions. S'il a obtempéré c'est qu'il en avait reçu l'ordre et qu'on ne le repren­drait plus.

La GFP, qui n'a déjà pas un amour particulier pour cette cohorte de tireurs au flanc, reconnaît à l'unanimité que ce simplet est étranger à une affaire aussi importante. Morsa revient à la maison et les autres seront envoyés dans une compagnie spéciale sur le front russe.

Morsa reprend son petit train-train de vie ; à présent, des « Gefreiter » se relayent régulièrement sur ses talons. Petit à petit, la vie au bureau se passe même en bons termes avec ces « Gefreiter » de garde. Son ami Vandenberghe et lui parviennent à gagner leur confiance et à distrai­re leur attention, surtout quand ils ont connu la veille des aventures avec des « cholies mademoizeles » et que, encore inassouvis, ils se com­plaisent à se passer des photos très « speziales » ; pendant que son com­père en rajoute un peu, Morsa a le cœur à l'ouvrage et avec entrain les supplée à la machine à plans.

Depuis l'odyssée des Todt au Conseil de Guerre, un mode de contrô­le a été instauré au grand dam de Morsa. Il lui faut maintenant fixer le métrage de chaque plan avant de le recevoir de l'Allemand. Quand il estime que le jeu en vaut la chandelle, une « erreur » se glisse dans ses mesurages. Cette erreur fera qu'un exemplaire supplémentaire tom­bera dans le grand sac à rognures au nez et à la barbe du Gefreiter de garde ! Pas idiot la demande préméditée de ce sac ! Il reste alors sur place jusqu'au départ des Allemands, suivi peu après de la fermeture des bureaux du Cadastre.
Un de ces Gefreiter tient un jour des propos anti-nazis. Il devient une proie appâtée avec de beaux dollars. L'appétit de Morsa est de plus en plus favorisé. Lui tient son rôle à merveille mais le Gefreiter est incons­cient dans ses vantardises voire sottises. La taupière se referme pro­voquant de nouveaux ennuis.

Sur la sellette, Morsa ne se départit pas de ce rôle qu'il interprète mer­veilleusement, et d'autant mieux depuis que les Allemands ont la convic­tion que ce Belge n'a pas la capacité d'avoir trempé dans une affaire d'une telle importance. A différentes reprises ils lui demandent d'écri­re le nom du « Gefreiter », chaque fois il se borne à écrire : « Gefreiter »... Au cours de cette instruction, ils le confrontent à des Allemands en état d'arrestation : « Quel est celui qu'il croit être le coupable ? » La continuation de son travail pour la patrie le place devant un problè­me de conscience..., il désigne un certain E}K. Confronté avec lui, il apprend que celui-ci a été arrêté en possession de dollars et est consé-quemment passible de la peine de mort, aussi tente-t-il du mieux qu'il peut de faire admettre qu'il est innocent. Sachant que cet Allemand sera exécuté pour ses dollars, Morsa a meilleure conscience. Qu'il soit condamné à mort une deuxième fois !

L'instruction terminée, Morsa ressort lavé de tout soupçon. Pourtant, marqué et choqué par la condamnation d'un être humain, il refuse de se servir encore de la machine à plans. Il se fait remplacer par des collègues. Son chef de Réseau Braid le réconforte et lui remonte le moral. Pliant sous ces insistances, Morsa craint aussi que son absence au tra­vail n'attire davantage l'attention de l'ennemi. Après plusieurs semaines, il reprend le chemin du bureau du Cadastre...

Quelle avait été l'origine de cette découverte par les Allemands ?

Inventoriant un paquet de courriers porté par un agent abattu dans le midi de la France, les Allemands découvrent des plans en prove­nance du Fahnungdienst de Bruges. Tout est mis en action pour faire la lumière sur cette faille dans leurs services. L'enquête dévoile qu'un des Gefreiters envoie à sa famille en Allemagne des colis en surnombre pour lesquels sa solde ne suffirait pas. Le Colonel commandant le Service est dégradé, ses officiers envoyés au front russe. Un technicien, cité plus haut, est condamné à mort.

Un doute subsiste : certains plans devraient avoir été vendus en pro­venance directe du Fahnungdienst. Les plans du service ZIG sont pho­tographiés, petit format, avec des centaines de renseignements en

provenance de toute la Belgique. En cours de cheminement vers le sud, d'autres courriers venaient s'additionner. Il faut constater qu'à part Morsa et le bureau allemand lui-même, aucun agent de renseignement n'a été inquiété suite à cette découverte. Les messages personnels d'ac­cusé de réception photographiés sur le même film ont bien été émis aux journaux parlés de la BBC... Tous les courriers sont donc bien arri­vés à Londres.

Morsa signifie aux Allemands qu'il consent à reprendre son travail mais il déclare qu'il décline toute responsabilité parce qu'il n'a plus aucu­ne confiance en ces Gefreiters présents dans le bureau. Ce « simplet » est tout à fait innocent aux yeux de l'autorité allemande qui lui accor­de sa totale confiance et le charge de tirer les plans tout seul.
Plusieurs agents annoncent que le maréchal Rommel a fait une visi­te d'inspection en Belgique, ils garantissent leur vigilance sur les chan­gements qui devraient en découler. Il y aura du pain sur la planche pour Morsa qui est aux aguets.

Quand Braid vient chez Marc Léman pour puiser des dollars dans sa réserve et pour fixer rendez-vous chez lui avec Morsa, tout porte à croi­re qu'il y aura du gâteau ...

Sorti le samedi soir du bureau du Cadastre, Morsa est au rendez-vous le dimanche matin à Wingene... les plans révèlent des dispositifs tac­tiques relatifs à la défense KVAI, II et III, c'est-à-dire les emplacements des EM + les liaisons téléphoniques avec parcours exacts et tous les détails des réseaux + toutes les places fortes avec le détail des abris, champ et puissance de tir + les champs de mines vrais ou faux + le secret d'une signalisation optique spéciale utilisable sur ordre du grand E.M. en cas de débarquement + le minage des ponts, charge et empla­cement + l'identité de toutes les unités en place ou de passage. Le Mur de l'Atlantique de Gravelines à l'île de Walcheren. Incroyable !

Braid et Morsa s'appliquent avec beaucoup de minutie à transférer ces documents dans le cadre du vélo de Marc Léman, pendant que celui-ci doit apprendre un important texte d'accompagnement.

A quelques kilomètres de la route Bruges-Courtrai, sur la piste cyclable, un cycliste zigzagant arrive en sens inverse et accroche Léman. Tous deux sont étendus sur la chaussée : le zigzagant n'a rien, Marc Léman ne désire pas attirer l'attention ; le cadre de son vélo est indemne... mais en se mettant en selle, il constate qu'une pédale est cassée... Connaissant comme sa poche la route Bruges-Courtrai, il a en mémoi­re un estaminet en angle d'où l'on découvre très bien le passage à niveau qui oblige tout véhicule à ralentir. « Les plans de la Défense atlantique » sont déposés contre la façade ; le petit café est désert et on lui offre un bassin d'eau pour laver les égratignures et les traces poussiéreuses de sa chute. Patience...Par hasard, il sait qu'un camion de déménage­ment venant de Heyst pour Mouscron doit passer dans l'après-midi ; il est très improbable qu'il soit déjà passé.

Après deux heures d'attente, le camion apparaît à l'horizon. Cycliste et vélo y trouvent place. Tout est radieux jusqu'à la barrière d'Aalbeke près de Mouscron quand deux gendarmes allemands font signe de stop­per ; contrôle du contenu, des papiers et des pièces d'identité... Heureusement Léman peut leur montrer son « Freistellung vom Arbeitseinsatz im Reich ».

Dès son retour dans son bureau clandestin Marc Léman écrit le texte appris à Wingene et peut à présent s'attarder sur ces précieux plans étalés sur le tapis, on croirait à un scénario de cinéma... comment tout un jeu de plans allemands «top secret» va passer aux Alliés !

L'optique de l'appareil à microphotographier devra s'y prendre en plu­sieurs fois pour couvrir chaque plan. Commence alors le tracé d'un quadrillage adéquat qui facilitera ce travail dans la minuscule chambre noire où deux personnes peuvent à peine se tenir debout. Des signes conventionnels apparaissent tantôt trop clairs, tantôt trop foncés à cause de l'irrégularité dans le tirage. Dans la crainte d'un rendu trop faible au développement de la pellicule, étant donné la richesse de ces documents, certains tracés sont redessinés à l'encre de Chine. Impossible de travailler le jour sans attirer l'attention des gens de mai­son. Ce travail de bénédictin exigea deux nuits pour ne pas rater le départ du courrier de Correntin pour le Midi de la France. Son frère Michel, de passage, aidera personnellement le photographe pour le maniement de ces grands formats. Le bon résultat du développement permet d'envoyer les films sans appréhension. Avant d'enterrer les plans en attendant l'accusé de réception de Londres, Braid vient les passer au crible pour transmettre sans tarder l'essentiel par message radio codé.

Sans doute les Alliés croiront-ils que ces plans sont truqués et qu'il y a un piège ! Heureusement des rapports d'agents viennent très vite confirmer la mise en application sur le terrain de ces plans défensifs de Rommel, révélée dans un premier temps par les mouvements des troupes.

L'attention est portée sur une vérification de l'application de ces plans.

La source ne se tarit pas. Les Allemands ont bien raison de faire plus confiance en Morsa qu'en leurs hommes ! Plus tard il amènera le plan de retraite de la XVe armée allemande sur les bouches de l'Escaut et le Canal Albert de Gravelines à l'île de Walcheren, les positions de défen­se et les nids de résistance de Zeebrugge, Ostende, Bruges, Rotterdam, ainsi que des renseignements détaillés sur la structure du Corps de Pantzers Herman Gorring caserne à Isegem, etc... A partir d'avril 1944, suite à l'arrestation de Marc Léman, l'organisation des secteurs auto­nomes pour soustraire les transports périlleux est mise en application quelques semaines plus tôt que prévu. Les documents de Morsa sont alors photographiés par les soins du chef de section ZIG-D, le doc­teur Pierre Glorieux à Bruges.

La Libération est en vue mais le danger subsiste jusqu'au dernier jour. Un ancien collègue de Morsa, militaire de carrière, lui demande de cacher un revolver. Ayant femme et enfants, Morsa dit qu'il ne peut prendre un tel risque et que les affaires de guerre ne l'intéressent pas le moins du monde ! Furieux cet ancien collègue réplique qu'il peut s'attendre à de sérieux problèmes après l'Occupation !

A l'approche de la Libération, Morsa prend en charge un Lorrain incor­poré d'office de l'armée allemande : Jean Schultz ; celui-ci sera confié aux Canadiens. Il apprit qu'après avoir rejoint les Forces Françaises Libres, son protégé avait combattu contre l'armée allemande.

Par contre le Gefreiter EJK avec qui il a été confronté au Conseil de guerre a été passé par les armes dans le cimetière communal de Steenbrugge, le jour même où les Allemands quittèrent la région face à l'avance des Alliés.

Que sont devenus les plans Morsa ? Tous ces plans sont passés par Marc Léman jusqu'en avril 1944 et les documents ont été brûlés dès l'au­dition des messages de réception à la BBC. A la Libération, les regrets sont très grands... l'ordre en avait été donné. Hélas !

Dans les dernières semaines d'occupation, comme les courriers ne par­taient plus pour Londres, les renseignements urgents étaient transmis par radio ou par phonie. Ainsi des documents peu importants n'ont pas été brûlés et sont restés aux mains des chefs de secteurs ; les prin­cipaux ont été remis aux Alliés lors de leur progression libératrice.

Dans le plan étudié pour l'organisation autonome régionale du Réseau ZIG, un secteur spécial est réservé rien que pour Morsa à partir d'avril-mai 1944. Il en garde les rênes aidé par le docteur Pierre Glorieux qui s'entoure d'agents cyclistes dont ses deux filles. C'est chez lui que Morsa apporte les documents secrets. Son trajet n'est pas long. Le docteur a composé un dossier médical bien fourni à son nom : il souffre d'un ulcère à l'estomac et son état cardiaque est à surveiller. Un alibi irré­prochable de crédibilité.

Au registre officiel du Cadastre à Bruges, Bewaring Brugge Afdeling C2, existe la liste des prestations exécutées par Morsa ; celles qui sont soulignées en rouge ont été réalisées pour le compte de l'occupant « openbare besturen op partikulieren » du 20 juillet 1943 au 30 août 1944. Morsa estime que pour cette période il a remis au réseau ZIG environ 300 plans.

Depuis son premier larcin, le plan de Dunkerque, Morsa raconte abso­lument toutes ses activités journalières à son épouse. Ils partagent leurs appréhensions, les aléas, leurs anxiétés, tout comme leurs moments de satisfaction après un tour magistral joué à l'ennemi. Son épouse aux nerfs d'acier s'adonne totalement à ses devoirs de mère entourant ses petits de toute son affection et de mille distractions pour estom­per au mieux la longueur de l'attente ; une vie sur le qui-vive inces­sant.

Après la Libération, Morsa conserve sa grande discrétion, aucune van­tardise ! Ses glorieux exploits sont restés peu connus, trop peu connus. La maladie l'emporte en juillet 1950 à l'âge de 40 ans.
Braid, chef de ZIG, rassemble ses quelques chefs de Secteur à l'adres­se clandestine de Marc Léman (en captivité en Allemagne) pour rece­voir le capitaine Page du Spécial Intelligence Service, chez qui arrivaient les rapports hebdomadaires. Celui-ci tient à féliciter particulièrement Morsa pour ses exploits et révèle le grand intérêt des renseignements sur la défense du Mur de l'Atlantique si utiles à la cause des Armées Alliées. Des félicitations sont réservées pour la collaboration de Marc Léman.

Le roi Georges VI le reçoit à Londres pour le faire « Honory member of thé most excellent Order of thé British Empire (Military Division) », tandis que le Gouvernement belge lui octroie une Croix de Guerre avec une palme et le fait Chevalier de l'Ordre de Léopold. Il est promu au grade de Capitaine ARA.

Ceux qui ont travaillé avec cet homme humble et modeste sont fiers de son courage exceptionnel, de son sang-froid, de ses qualités de dis­cernement ...

Sans aucun doute « Un » des plus grands agents de Renseignement belge !

Adrien Fache a rédigé un ouvrage intitulé :
« ALIAS MARC LEMAN »
Services de Renseignemnts Militaires Belges 1940-1945
Organisation et souvenirs.

L’ouvrage est paru en novembre 2003 (épuisé).


(1) MORSA Roger, LL 8000, né à Ben-Ahin (Liège) le 15 juillet 1909, décédé le 11 juillet 1950.


lundi 27 juillet 2009

132-am : Ici Londres

par André Maillard du Réseau Clarence

Les compatriotes qui ont connu la guerre 40-45 se souviendront … Tous les soirs, c’était le même rituel : on s’enfermait à double tour, souvent dans l’arrière- cuisine, à l’abri des oreilles indiscrètes et on branchait la radio. Rechercher la fréquence de Londres n’était pas une affaire des plus simples d’autant plus qu’après chaque émission il fallait se brancher sur la radio nationale belge (INR) toute à la solde de l’occupant … on ne sait jamais ?

Pour trouver la fréquence et augmenter la qualité de l’écoute il était recommandé de tourner le bouton lentement jusqu’à obtenir la meilleure syntonisation. Les allemands étaient aussi devenus spécialistes du brouillage des émissions.

Les deux mots les plus attendus étaient ici Londres et l’indication du pays auquel les messages étaient destinés. Les brèves nouvelles de la guerre terminées, la voix de Londres poursuivait par voici quelques messages personnels … et le speaker d’égrainer des phrases toutes les unes plus incompréhensibles que les autres, parfois ponctuées par nous disons deux fois. Nous écoutions ces messages convaincus que ces phrases avaient une signification. D’ailleurs des résistants les attendaient avec impatience.

Voici quelques exemples de messages décryptés parmi des milliers de messages totalement incompréhensibles pour les services secrets de l’ennemi et ses collaborateurs.

D’abord, pour que ces phrases aient leur utilité, il fallait qu’elles soient comprises entre l’expéditeur et le destinataire.

Au début des hostilités, le message est envoyé par courrier à Londres via la France, l’Espagne et le Portugal. Un tel trajet demandait des semaines pour arriver à destination. Le message personnel rassurait ceux restés au pays ou une personne prête à s’engager mais qui craignait un piège.

Il y a le message pas très compliqué destiné à l’ennemi qui donne un agent pour mort alors qu’il est vivant et lui permet de poursuivre sa mission, voire de se mettre à l’abri car venant d’être dénoncé. Le message personnel indique qu’un parachutage d’armes va avoir lieu comme convenu ou qu’un avion se posera brièvement et qu’un balisage est requis pour y réceptionner un agent.

Il y a le message collectif qui annonce le débarquement. Et cet autre trop facile à traduire destiné à dérouter l’ennemi en lui faisant croire qu’une action va se dérouler ici alors qu’elle se passera ailleurs. Et nous disons deux fois complique le message ! Message collectif : Le Roi Salomon a chaussé ses gros sabots. Message local : Le ténor chantera ce soir. Tous ces messages ont été utiles à la Victoire.

Ne mélangeons toutefois pas les genres. Ces messages radio ne doivent pas être confondus avec le très grand nombre d’informations de guerre collectées en Belgique et envoyées à Londres pour apporter aux Alliés des renseignements militaires et économiques. Ces messages codés, reproduits parfois sur microfilms étaient d’abord transmis par courrier. Ils le furent ensuite par radio via un navire servant de relais, grâce aux soins d‘opérateurs formés en Angleterre et parachutés sur nos terres.
Nous ne devons jamais oublier que la moitié de ces opérateurs sont morts en service commandé. Ceux-là, aussi, nous obligent au Devoir de Mémoire.

lundi 2 février 2009

131-am : Jeune, si tu savais

par André MAILLARD du Réseau Clarence
C’est à toi que je souhaite m’adresser. Principalement à toi qui ne se doutes pas qu’il est redevable de s’exprimer, d’aller et de venir, aux Martyrs de la Résistance. Ce sont ces femmes et ces hommes qui ont donné leur vie pour que tu vives dans la liberté aujourd’hui.

C’est aussi vers toi qui crois trop facilement que les camps de concentration n’ont été que des lieux de souffrances pour les juifs. Alors que tant de Résistants y ont vécu et y sont morts dans les pires souffrances après avoir été torturés bien avant d’y arriver.

C’est encore à toi que je m’adresse, toi qui crois que les américains ont été les seuls artisans de la libération. Nous n’aurions jamais été les vainqueurs sans le concours des troupes alliées.

Mais que pouvaient-ils sans toutes ces personnes qui formaient les services du renseignement et leur préparaient la voie en les documentant sur les détails des mouvements de l’ennemi et de ses positions, détruisaient les installations techniques comme les bases secrètes où se préparaient la construction et le lancement des armes secrètes telles que les bombes volantes et les prémices de l’arme atomique.

Mon intention n’est pas de décrire les actes de résistance à l’envahisseur mais de voir comment la jeunesse allemande a évolué et comment toi, tu vivrais aujourd’hui si les allemands avaient été victorieux ?

Cette supposition peut te paraître « débile » : vouloir montrer ce que tu deviendrais dirigé par un dictateur n’ayant d’autre ambition que de nous asservir !

Tu ne peux pas oublier qu’un combat doit être mené quotidiennement pour le droit de vivre libre. Pour cela, tu ne peux renier tout acte de civisme, dont les racines se nourrissent des leçons du passé. Et toi aussi, tu dois choisir de défendre les valeurs patriotiques de ton pays.

En Allemagne, Hitler s’adressait aux jeunes en fixant leur vie future en ces termes : « tu n’es rien, ton peuple est tout » autrement dit, tu obéis aux ordres sans discussion. Je pense pour toi. Il confirme ses écrits dès sa montée au pouvoir en supprimant toutes les organisations de jeunesse et en s’emparant de tous leurs biens. Plus tard, il déclare obligatoire l’adhésion de tous les jeunes à une organisation de jeunesse unique : la jeunesse hitlérienne. Ils seront plus de 7.750.000 jeunes à y être incorporés et « manipulés ».

Les jeunes de 8 à 10 ans sont regroupés dans la Jungvolk (le peuple des jeunes). A 14 ans, ils sont dans la Hitlerjung (la jeunesse hitlérienne) où ils sont dressés à obéir, endoctrinés et manipulés : ils vont apprendre la délation et la dénonciation allant jusqu’à dénoncer leur propre père s’il ne suit pas la ligne du parti nazi !

A 18 ans ils prêteront serment de fidélité à Hitler et suivront scrupuleusement l’enseignement qui leur est imposé. Les plus intelligents iront à l‘école Adolphe Hitler en vue de les incorporer dans les cadres dirigeants du parti nazi (le seul parti politique autorisé).

Les filles ne sont pas oubliées. De 14 à 21 ans, elles entrent au Bund der deutschen Maedel (l’union des jeunes-filles allemandes) où elles se préparent à la maternité avant d‘aller faire un an de travail soit dans l’agriculture, soit comme aide ménagère !

Imagine-toi portant l’uniforme noir, la culotte courte, et paradant un flambeau à la main, ou figé au garde à vous devant un chef hurlant et devant obéir à tout ce qu’il t’ordonne ? Tu ne peux plus aller où tu veux, quand tu veux. Tu iras là où tu dois aller et quand il te le dira.

C’est comme faire partie d’une secte : le but est de faire de toi une machine qui ne peut ou ne doit plus penser. C’est un autre qui pense pour toi !

Certes, tout ceci peut te paraître ridicule, voire impossible chez nous. Et pourtant la guerre n’est pas très loin d’ici. C’est même un sujet dont on parle partout avec forces images probantes à la télévision et dans les journaux.

Dis-toi bien, que ceux qui défendent le Devoir de Mémoire des Martyrs de la Résistance se battent contre toute forme de violence : je t’invite à te joindre à nous pour exercer ton droit de rester libre dans ton pays en devenant membre sympathisant d’une association patriotique de ton choix.-