lundi 12 mars 2012

136-mp-Le Réseau Clarence en régions de Marche et La Roche

Ce texte est un condensé de l’étude menée par Maurice PETIT en hommage à toutes les femmes et à tous les hommes qui ont œuvré au sein du Réseau Clarence. L'étude est parue dans Les Annales du Cercle historique de Marche-en-Famenne, Hotton et Rendeux en novembre 2011.


Il s’agit d’un regard sur le Réseau Clarence opérationnel dans la province de Luxembourg et en particulier dans la région de Marche-en-Famenne et La Roche-en-Ardenne

"Walthère Dewé (1) est, sans aucun doute, le plus grand Résistant Belge, l'un des plus grands de toute la résistance européenne, le seul homme au monde qui fut fondateur et chef d'un réseau clandestin de renseignements au cours des deux guerres mondiales". Henri Bernard (2)











L’homme de La Dame blanche


Lorsqu’il met en place son Corps d’Observation Belge (COB) en 1939, Walthère Dewé n’en est pas à son coup d’essai. Au cours de la première guerre mondiale, cet ingénieur à la Régie des Télégraphes et Téléphones (RTT), né à Liège le 16 juillet 1880, avait déjà dirigé un réseau de renseignements, celui qui avait été initié dès la fin de 1914 par son cousin Dieudonné Lambrecht, fusillé à la Chartreuse le 18 avril 1916. Walthère Dewé, qui l’avait épaulé dès le début, avait pris la relève de son parent. Le service allait porter divers noms, le plus connu étant La Dame blanche, et il fonctionna jusqu'à la fin des hostilités au profit de la section du Secret Intelligence Service (SIS) britannique opérant aux Pays-Bas. A partir de 1939, le COB recueille des renseignements sur l’industrie et l’armée allemandes et prévient les autorités de l’invasion imminente du pays.

La naissance de Clarence


Après la capitulation du 28 mai 1940, Dewé croit encore en la victoire finale et, avec ses compagnons de lutte, il restructure le COB qui progressivement deviendra le service Clarence, d’après le pseudonyme d’Hector Demarque, son plus proche collaborateur. Réseau de renseignements militaires, Clarence compte un secteur par province, un secteur routier et un secteur français. La mise sur pied du secteur du Luxembourg est confiée au juge Léon Calmeau de Marche-en-Famenne. Clarence ne dispose que de postes émetteurs à faible portée et n’obtient donc aucune réaction de Londres et les essais de courrier terrestre, par la France et l’Espagne, ne sont pas plus fructueux. Le doute s’installe au début de 1941 mais le salut vient du ciel, en la personne de Jean Lamy, parachuté près de Manhay avec un poste émetteur-récepteur. Malgré l’arrestation rapide de cet agent, l’essor du réseau continue. De nouveaux opérateurs assurent le dialogue avec Londres et les chefs de secteur recrutent des agents et créent des sections dans leur province. Calmeau, alias Seguin, en établit à La Roche, Aubange, Athus, Vielsalm et Bouillon.

Essor et répression


L’opérationnalité du réseau atteint son niveau optimal mais la répression allemande se met en place dans le même temps. Dès 1942, Omer Habaru est arrêté à Arlon. Avec son internement aux Pays-Bas de 1914 à 1918 (3) , il cumulera sur les deux guerres pas moins de 2539 jours de captivité ! D’autres arrestations dramatiques suivront dans la région de Marche. Raymond Dorckens est arrêté et fusillé pour vol de plans et d’une douille en nouvel alliage à la Fabrique Nationale (FN) de Herstal. Léon Lambert, qui a aidé des aviateurs à quitter le pays, est arrêté et mourra en captivité en 1944. L’abbé Paul Désirant, curé de Devantave, également actif au Mouvement National Belge (MNB), est fusillé après une sombre affaire de vol de dynamite à Boncelles. Néanmoins, le réseau trouve encore de nouveaux agents prêts à risquer leur vie pour leur pays en récoltant, analysant et transmettant tous les renseignements susceptibles d’intéresser Londres. La section de La Roche, sous la conduite de René Liégeois, alias Rocher, n’est pas en reste, notamment avec Adelin Petit qui aide à établir les plans d’un camp allemand dans son village de Gênes.

La fin d’un géant


Après l’arrestation de ses deux filles le 7 janvier 1944, Walthère Dewé est directement menacé, mais il refuse de se mettre en sécurité. Il est arrêté le 14 janvier, à Ixelles, au domicile de Thérèse de Radiguès, une autre vaillante de la première heure dans La Dame Blanche. Au moment d’être embarqué dans une voiture, il s’enfuit mais est finalement abattu dans la rue. Le juge Calmeau est arrêté le mois suivant : son nom avait été trouvé sur une liste de membres du mouvement National Belge (MNB) ! Il mourra en 1945 après d’indicibles tortures. Le réseau continue pourtant l’action, avec courage, y compris lors de l’Offensive des Ardennes.


Le bilan des communications et renseignements de Clarence


Du premier message envoyé de Grandmenil par Jean Lamy au dernier message reçu par Gérard de Burlet, Clarence a échangé avec Londres pas moins de 872 messages dans les deux sens. En parallèle, 92 courriers terrestres, totalisant 163 rapports avec cartes, croquis et photos ont été acheminés vers Londres via la France et l’Espagne.

La plupart des messages opérationnels portent sur les informations militaires et industrielles, plus rarement sur des aspects politiques, économiques ou de contre-espionnage. En voici quelques exemples : fabrication de cartes des côtes d’Irlande, commande de bateaux-citernes, dépôts de munitions, position de l’artillerie à la côte, mouvements de troupes, position de radars, activités sur les aérodromes, situation générale des unités allemandes, préparation d’un raid aérien sur un atelier de réparation d’avions de chasse, résultat de l’attaque du Centre Opérationnel de Florennes, données techniques du Messerschmit 262 plusieurs mois avant son entrée en service, mise au point des V1 à Peenemünde (Alemagne – Mer Baltique), emplacement des rampes de lancement de fusées en construction en France dans le Pas-de-Calais (Eperlecques), persécution et déportation des Juifs. On retrouve aussi des informations sur le "Comité Gilles", la Mission De Kinder, la Légion Belge ou encore l’Armée de Belgique.

A la fin des hostilités, le ténor des services secrets britanniques, Sir Charles Dansey, dira que « par la qualité et la quantité des messages et documents qu’il fournit, Clarence occupe la première place parmi les réseaux de renseignements militaires de toute l’Europe occupée ».

Le Réseau Clarence compte officiellement un total de 1.547 agents reconnus, issus de tous les coins du pays. 43 d’entre eux tombèrent en action et 4 moururent prématurément après la fin de la guerre, des suites de celle-ci.

Un hommage national, très émouvant, sera rendu à Walthère Dewé à Liège en octobre 1945 et un mémorial sera élevé dans sa rue (Quartier des Tawes à Liège-Citadelle). Il y repose désormais aux côtés de son épouse. Ce n’est qu’en 1957 que sera rapatriée la dépouille du juge Calmeau. Une stèle est élevée à sa mémoire au Palais de Justice de Marche.

Aujourd’hui, c’est la Royale Union des Services de Renseignement et d’Action (asbl RUSRA-KUIAD vzw) qui entretient la mémoire de ces femmes et de ces hommes qui ont risqué, et parfois perdu, leur vie pour notre liberté. Ne les oublions pas. C’est l’objectif de cette étude.

NOTES :


(1)

La photo nous a aimablement été confiée par Philippe Dewé, petit-fils de Walthère Dewé.
(2)

BERNARD Henri. "Un Géant de la Résistance, Walthère Dewé". La Renaissance du Livre. Sans lieu. 1971. Ancien Résistant (Armée de Renseignement et d'Action, Réseau LUC), Henri Bernard était historien de renom et professeur à l'Ecole Royale Militaire (Bruxelles).

(3)

PETIT, Maurice : "Un Ardennais interné aux Pays-Bas". In les Annales 2010 du Cercle Historique de Marche-en-Famenne, Hotton et Rendeux. Marche-en-Famenne. 2010.


Où se procurer un exemplaire des Annales 2011 ?
Les Annales 2011 du Cercle historique de Marche-en-Famenne, Hotton et Rendeux" , secrétariat : rue des Rossignols 25, 6900 Marche-en-Famenne ; http://cercle-historique.marche.be/